Copacabana et l’Isla del Sol derriere moi, il est temps de redescendre vers le Sud. Rapide trajet jusque La Paz, petite heure de flottement dans le terminal de La Paz, et embarquement pour Sucre, a quelques 12 heures de la. Trajet effectue sans encombres, si l’on excepte Vomito Boy (10 ans et visiblement pas un grand amateur des voyages en bus) et l’arret effectue en pleine cambrousse a minuit pour permettre a tout le monde de se sustenter dans une gargotte ou l’hamburger et le pain au fromage se cotoient entoures de demoiselles fort peu vetues…
A Sucre, je m’installe en plein centre. Rien a dire, la ville est splendide. Les batiments coloniaux se succedent dans d’etroites ruelles, j’accroche directement. Apres une rapide sieste (je ne changerai pas, apres une nuit dans un bus, j’ai toujours besoin de me retrouver scotche a un bon vieux matelas), je prends l’une des decisions les plus importantes de mon voyage. Apres plusieurs semaines de laisser aller flagrant, l’heure du changement a sonne ! Arme de mon rasoir triple lames, de ma bonbonne de mousse et d’enormement de courage, j’attaque ma pilosite faciale avec force. A ma grande surprise, une demi-heure apres, je suis de nouveau doux comme un bebe (du moins au niveau du visage) et peux constater que la barbe empeche le bronzage. Non seulement la partie inferieure de mon corps arbore fierement des couleurs qui feraient palir d’envie Miguel Indurain, mais voila que mon cou n’est plus du tout en harmonie avec mon proeminent front. Qu’a cela ne tienne, il me reste encore quelques jours pour parfaire le tout.
Encore tout emotionne par ce changement radical de mon apparence, je decide de poursuivre la transformation en demandant a ma receptionniste ou trouver un coiffeur digne de ce nom a proximite de mon hotel. Une petite croix sur le plan, une petite balade dans la ville et apres quelques dizaines de minutes de patience, je me retrouve entre les ciseaux de mon visagiste local.
Certains d’entre vous le savent deja, j’adooooore les coiffeurs. Un coiffeur, c’est une compilation intarrissable de faits, d’histoires, de ragots,… Une seance chez le coiffeur et vous pouvez annuler vos abonnements a Gala, Voici, le Moniteur Automobile, Spirou Magazine, Le Courrier International et j’en passe… Il doit y avoir un gene « Coiffeur », car mon Edouard aux Mains d’argent me rappelle furieusement les coiffeurs belges auxquels je suis habitue. Memes gestes, meme etonnement face a ma toison capillaire pour le moins inhabituelle en ces contrees, meme volonte de vouloir absolument engager la conversation…
Contrairement a mon attitude belge, qui preconise un minimum d’echanges lors de ces rares moments de soumission, je prends un reel plaisir a converser avec Edouard (qui se prenomme probablement Georges, mais Edouard sert bien la cause de ce recit). Ici, les ciseaux professionnels que l’on peut trouver dans tout bon salon belge sont remplaces par une paire de ciseaux « bricolage », dont les lames sont chauffees au bec bunzen en guise de desinfectant. Je suis entoure par les memes demoiselles devetues que lors de mon arret nocturne et le shampoing consiste en une rapide pulverisation d’eau. En vingt minutes, je perds toutes mes meches et apprehende un peu plus la politique du pays. Selon Edouard, il ne faudra pas attendre longtemps avant qu’Evo, president actuel, saute de son siege. Trois ans avant la fin de son mandat, mais il lui en donne un. Premier president d’origine indienne (mon guide de Tihuanacu en etait tres fier, faisant passer les photos de la prestation de serment dans le bus), il a entrepris bon nombres de reformes, la plus importante etant certainement l’agraire. Il souhaite egalement une nationalisation de bons nombres d’entreprises et autant dire que ce n’est pas pour plaire aux habitants aises de Sucre (ou j’ai apercu quelques Hummers, ca contraste avec le reste du pays), Santa Cruz,… A tel point que sa presence n’est pas admise dans ces villes, et qu’il risque de fortes represailles s’il ose y pointer le bout de son nez… Edouard n’hesite pas a le comparer a Chavez et Castro, et souhaite fortement sa destitution meme si celle-ci doit se produire dans un bain de sang…
Apres cette breve introduction a la situation politique du pays, ou le salaire minimum est fixe a 50 euros par mois, je continue ma decouverte du centre-ville. Rapide passage dans une pizzeria locale et repos bien merite en afonant quelques episodes des Experts dans ma chambre initialement prevue pour 3 personnes (10 euros la nuit !), c’est fou ce que les mauvaises habitudes reviennent vite…
Samedi, rebelotte. Je passe la journee a flaner dans le centre, visite le couvent de San Felipe de Neri aujourd’hui converti en ecole pour jeune demoiselle, et monte jusqu’au mirador. Je me sens vraiment bien dans cette ville, et le week-end apporte une touche de calme que j’apprecie.
Dimanche, direction Potosi, a trois heures de la. Architecture tout aussi agreable bien que legerement differente, je m’installe dans une petite auberge au fond d’une rue pietonne et disposant d’un petit patio interieur. Le calme en plein centre ville, je cheris l’endroit.
Potisi, c’est 500 ans d’histoire miniere. La mine d’argent la plus importante au monde historiquement parlant, elle est toujours exploitee par quelques 15000 mineurs. A l’epoque de sa decouverte au 16eme siecle, nos amis espagnols n’ont pas hesite a inviter gracieusement quelques millions d’africains pour en extraire le precieux metal. Impossible de savoir la quantite exacte d’argent qui en a ete retiree, mais certaines rumeurs pretendent qu’il serait possible de contruire un pont en argent de Potosi a Madrid, tout en continuant a acheminer le metal extrait de la mine sur le dit pont ! Les esclaves invites de la couronne effectuaient des shifts de 4 mois sous terre, avant de disposer de 4 mois de repos, et ainsi de suite…
Aujourd’hui, les mineurs sont regroupes autour de cooperatives qui leur achetent l’argent extrait de la mine. Ils peuvent egalement vendre le produit de leur travail a des entreprises privees, qui se chargeront de transformer le precieux metal en argent sonnant et trebuchant. Les conditions de travail sont toujours incroyablement precaires et les mineurs les plus ages depassent rarement les 45 ans, la silice et autres emanations toxiques ayant raison de leur sante… Les heureux touristes que nous sommes ayant la possibilite de visiter certaines mines, je reserve mon voyage pour l’enfer des mon arrivee. 90 % des mineurs de la mine que je vais visiter (environ 2000 au total) sont la parce qu’il n’y a pas d’autre travail possible, 4% par tradition, 2% parce qu’ils aiment le travail (qu’ils disent), le reste du panel prefere ne pas se prononcer…
Aujourd’hui, c’est le grand jour. Apres avoir lu et relu la trentaine de lignes qui constitue l’avertissement preliminaire a la visite, signe une decharge attestant que mort, je renonce a toute poursuite a l’egard de mon organisateur, direction le premier arret. Au programme, seance d’habillage. Bottes, pantalon, veste, casque-lampe et bandana, nous sommes fins prets pour la deuxieme etape : le magasin du mineur. L’idee me plait : apres les explications de Ronaldo, ancien mineur hispanophone (toujours prendre les tours en espagnol : ils durent plus longtemps et les guides etant plus a l’aise dans leur langue, on dispose toujours de beaucoup plus d’informations), nous avons l’opportunite d’acheter quelques presents pour les mineurs que nous allons rencontrer durant la visite : batons de dynamites, feuilles de coca, sodas,… L’occasion egalement de gouter le Ceibo, alcool bolivien a 96 degres dont raffolent les mineurs pour son cout excessivement faible. 1 euros le litre, il y a moyen de s’y mettre a plusieurs pour vider la bouteille. Personnellement, le bouchon ingere aura suffi a desinfecter l’entierete de mon organisme, et je songe fortement a ramener une bouteille pour le jour ou j’aurai un quelconque travail de decapage a effectuer…
Armes de toutes ces provisions, direction le troisieme arret : l' »usine » ou les roches extraites sont traitees a travers differents procedes pour qu’au final seul l’argent soit present. Rien a voir avec ce que la modernite de notre epoque pourrait laisser sous entendre. De petits batiments, remplis de machines, de vapeurs de produits chimiques,… On ne visite pas la chaine de production Actimel de Danone (monsieur Vastemans !). L’automatisation est presente, mais les moyens employes semblent rustiques… Apres ce rapide cours de chimie et de traitement de la roche, direction l’entree de la mine…
Les avertissements sont nombreux concernant la visite de la mine. Outre l’agence, les guides touristiques mettent egalement l’accent sur le caractere dangereux que peuvent recouvrir ces deux heures passees dans le coeur de la montagne. Arme de tout mon equipement, c’est donc avec une legere apprehension que je penetre dans le mince couloir que constitue l’entree. Des tubes d’air comprime longent les murs pour raffraichir l’endroit (montagne d’origine volcanique, la temperature monte jusqu’a 54 degres dans certaines galeries), nous marchons entre les rails des wagons et apres quelques minutes de ce traitement, je commence a ressentir une legere oppression. La galerie empruntee est etroite, le plafond bas, et des millions de particules de silice flottent dans l’air. Conjuguees aux 4300 metres d’altitude et au manque d’air, elles rendent la progression penible et empechent une respiration normale. Le bandana, cense diminuer l’absorption de ces grains de poussiere et rendre supportable les odeurs de souffre et de produits qui nous entourent, augmente la sensation de chaleur et semble etre une barriere supplementaire a l’acces au peu d’air present. Nous ne sommes qu’au premier niveau et apres quinze minutes de ce traitement, notre groupe de 6 personnes se rend clairement compte des conditions de travail de l’endroit. Je savais qu’elles etaient dures, mais les vivre ainsi represente clairement un choc.
Du premier niveau, nous empruntons un etroit couloir en pente pour rejoindre le deuxieme et troisieme. A quatre pattes ou pieds en avant, il est plus facile de se laisser glisser sur les parois que de tenter de progresser courbe. Mon cote jouette prend le dessus (quand un puit ne constitue pas la fin de la glissade) et je commence a me sentir mieux dans cet univers. Ronaldo multiplie les explications et nous presente a quelques mineurs. Le plus jeune d’entre eux a 19 ans et travaille la depuis 2 ans, a raison de 8 heures par jour, 4 jours par semaine. Encore une annee a ce rythme et il aura assez d’argent pour se payer des etudes ! Les mineurs les plus chanceux et travaillant sur une bonne veine arrivent a gagner un peu plus de 400 euros par mois. D’autres arrivent a peine a se procurer les ustensiles indispensables a leur tache et a subvenir a leurs besoins. Au bout d’une galerie, trois hommes remplissent des paniers dont la charge varie entre 35 et 50 kilos. Nous sommes au troisieme niveau et ils acheminent ainsi la roche extraite vers l’exterieur. Ronaldo nous tend une pelle. A nous de pelleter quelques minutes. L’air est chaud, la silice toujours bien presente, et apres quelques minutes de ce traitement, force est de constater qu’il me serait impossible d’effectuer ce travail 8 heures par jour comme les hommes que j’ai en face de moi (et qui ne ressemblent en rien a des Rambos…).
Le retour vers le jour se fait par le meme itineraire. Au lieu de descendre, nous montons. Une occasion supplementaire de se rendre compte des conditions epouvantables dans lesquelles evoluent ces mineurs. C’est a bout de souffle et lessive que je retrouve le soleil, apres deux heures passees dans ce dedale de galeries. Pour egayer le groupe present, nous assistons a une explostion de dynamite, ressentons l’onde de choc, et remontons dans notre petit bus pour rejoindre le centre ville.
La visite de la mine restera clairement un des moments inoubliables de ce voyage. Ce fut l’occasion de penetrer dans le quotidien de ces fourmis (pas de connotation pejorative), travaillant ensemble dans des conditions indescriptibles pour assurer leur quotidien. Un travail penible ou les feuilles de coca representent un element indispensable pour pouvoir supporter l’environnement ambiant et ou notre groupe fut accueilli avec chaleur par chacun des mineurs que nous avons rencontre. Aujourd’hui, les reserves de la mine s’epuisent et augmentent ainsi la penibilite du travail. Mais 15000 personnes continuent a extraire des tonnes de roches quotidiennement pour permettre l’exportation d’un metal qui se retrouvera bien souvent au doigt ou autour du cou de quelques demoiselles en manque de bijou… Mettre le tout en perspective, rencontrer un jeune homme qui aura passe trois ans de sa vie au fond de la terre pour pouvoir se payer ses etudes, affronter les emanations toxiques et la silice, vivre ne fut ce que deux heures dans ce monde, vous comprendrez que la visite de Potosi aura represente quelque chose de fort a mes yeux. Et encore, je me sens toujours en periode de decantation face a ce que j’ai vu et ressenti…
Demain, et pas si loin de la mine, je vais poursuivre ma decouverte de Potosi, de ces magnifiques eglises et batiments datant de l’epoque coloniale et que le travail des esclaves (pardon) volontaires benevoles philanthropes africains et locaux aura servi a financer. Journee balade en ville, qui se cloturera par la prise de mon bus en direction de Tarija. Deux jours au pays du vin Bolivien et, de la, j’espere pouvoir trouver un itineraire non contraignant pour rejoindre Salta en Argentine…