Ce mercredi, me voila donc dans mon bus semi-cama. Au programme, une petite heure de route jusque Caleta Olivia, un premier changement direction Rio Gallegos, ou je devrais arriver le lendemain matin. Le temps est splendide et j’assiste au coucher du soleil entre la mer et les etendues desertiques qui bordent la route. La RN3 se degrade de plus en plus au fil de la nuit, et mes voisins sont bruyants. Apres une nuit de ce traitement, c’est passablement dephase que je debarque a Rio Gallegos, ou une petite heure de repit m’est accordee avant de prendre mon dernier bus. 13h de route pour terminer, parsemee de 4 postes frontieres, autant de cachets dans le passeport, et une pomme dans le sac a dos…
1h30 plus tard, premiere halte a la douane argentine. Fouille totale des bagages, et moue impressionnee des douaniers a la vue de ma pharmacie. Je leur glisse, sourire aux levres, qu’il ne s’agit pas de drogues, juste de quelques pillules censees soulagees tous les maux dont je pourrais etre victime. Devant tant de prevoyance, et au moment ou j’allais entamer la partie scatologique de mon inventaire, ils saluent mon esprit de precaution et arretent la leur fouille. Vingt minutes plus tard, rebelote du cote chilien, mais on ne s’attarde que sur les bagages a main.
Alors qu’ils ne restent plus que deux personnes entre moi et l’agent de l’immigration, mon regard est attire par une affiche representant une enorme pomme bien verte, barree et cerclee de rouge. Le mot AMENDE s’etale en grosses lettres juste en dessous. Mon sang ne fait qu’un tour, je me retrouve plonge dans mon sac, juste a cote du petit sac en plastique contenant le viatique que je m’etais octroye en prevision de ce long voyage. Depuis 24h, ma pomme « Royale » y croupi, attendant de se faire devorer. Ni une ni deux, je hele mon chauffeur et lui glisse un discret « Tengo una manzana en mi mochilla ». Devant son air catastrophe, je realise que je risque de passer la fin de ma vie a eplucher des pommes de terre dans le penitencier des iles Sandwich, voire de me faire transferer a Guantanamo… En bon pere de famille qu’il est, la bouche en coin, il me souffle « sors la de ton sac, et cache la dans la poche de ton pantalon ». Discret une pomme dans une poche… Il ne reste qu’une personne avant le moment fatidique. Une genuflexion plus tard, une enorme bosse deforme ma poche gauche et, ma main tenant fermement l’objet delictueux, je tends mon passeport en affichant ma plus belle tete d’enfant sage. La demoiselle me suivant me glisse un « bien joue ». C’est presque gagne… Le sac passe les rayons X sans problemes, j’ai l’impression que le FBI et le SWAT chilien vont debouler d’une minute a l’autre, je sors, m’assieds dans le bus et attends avec impatience notre depart…
Cet episode termine, nous reprenons notre route. Arrive au detroit de Magellan, le bus embarque sur un bac pour une traversee de 15 minutes. L’excitation de l’ensemble des passagers est palpable. On sent qu’on approche, que le tambourin de la petite fille du dernier rang ne sera bientot plus qu’un mauvais souvenir. Des dauphins noirs et blancs viennent nager et bondir dans notre sillage. La terre ferme regagnee, il ne reste plus que 300 km… et 2 postes frontieres. A un moment, il faut le reconnaitre, ca commence a faire beaucoup, mais on s’accroche. Les villes de la Terre de Feu commencent a defiler, Rio Grande, Tolhuin, et les panneaux « Las Malvinas son Argentinas » parsement le bord de la route.
Et soudain, surprise. Apres des milliers de kilometres de paysages desertiques, les arbustes deviennent des arbres et bientot, ce sont des forets entieres qui sortent de terre. Des montagnes, des lacs, les neiges eternelles font leur apparition. Au detour d’un virage, le detroit de Beagle et la bourgade d’Ushuaia…
Une fois mon auberge trouvee, je pars en reconnaissance et rapidement, Ushuaia me fait penser a ces stations de montagnes huppees, comme on en trouve dans les Alpes francaises, la mer en plus. 2 rues principales, bordees de banques, magasins de souvenirs, un casino, des agences de voyage. L’image « fin du monde » est un peu bousculee. Plutot la « fin d’un monde », ou le tourisme a definitivement pris ses marques, et ou les croisieres a 4000 dollars larguent leurs centaines de passagers en quete de Duty Free. Vous l’aurez compris, mon impression sur la ville en elle-meme est assez mitigee. Neanmoins, les activites alentours et les possibilites de balades s’annoncent quant a elles plus que prometteuses.
Vendredi, et apres une bonne nuit de sommeil, je potasse mes guides pour determiner la suite de mon voyage. Un village chilien attire mon attention. Ushuaia vit sur un mensonge en affirmant etre la ville la plus australe du monde, preuve du marketing intensif dont s’entoure la ville. Un petit village resiste encore et toujours a l’envahisseur, et est actuellement le village le plus austral : Puerto Williams ! Je passerai donc la matinee a analyser les differentes manieres de m’y rendre, ce qui ne semble pas si simple de prime abord. Finalement, mon choix se porte sur un petit Piper quadriplace de l’Aeroclub local. Mercredi, je devrais m’envoler vers le Chili et passer quelques jours dans cet endroit, ou la majorite des logements appartiennent a la Navy et ou le Club Naval sert de point de ralliement aux expeditions en partance pour l’Antarctique.
De la, et pour eviter de revenir sur Ushuaia et de repasser devant 4 douaniers patibulaires, je devrais embarquer sur un ferry assurant la liaison avec Punta Arenas. 38 heures de navigation dans le detroit de Beagle, assis sur une bonne banquette, ca devrait le faire ! Lundi, je regle l’histoire de l’avion et pour le ferry, et vu la difficulte pour obtenir des informations pertinentes, je verrai sur place…
Ce samedi, je decide de me rendre au Cerro y Glacier Martial. Il fait plein soleil, 23 degres et le tout culmine a 1250 metres. Un telesiege qui ferait palir d’envie une station de ski Turkmene amene les randonneurs a 500 metres, les 500 metres suivants se font le long de sentiers affichant 40% de denivelee. Station de ski situee a 7km du centre, l’acces au glacier est assure l’ete, et la balade donne droit a de splendides vues sur le detroit et la ville. Une fois au bout du sentier, et alors que la neige est encore assez lointaine, je decide de quitter le chemin. Je traverse de nombreux petits torrents qui coulent le long des flancs de la montagne et me rapproche jusqu’a pouvoir faire un bonhomme de neige. Depuis quelques annees, rechauffement climatique oblige, le glacier fond a vue d’oeil, a tel point que les autorites craignent qu’il n’en reste bientot plus rien…
Au retour, et pour eviter de reprendre un taxi de la base au centre, je redescends par un sentier longeant le torrent. Chemin faisant, je fais la connaissance de Claire et Michel, avec qui je rejoins le centre. La promenade est plus qu’agreable et represente un excellent substitut a la route asphaltee empruntee par les taxis.
Pour finir, et parce que pendant 26h, on a l’occasion de gamberger un chouia, une petite pensee pour les chocolats SUCHARD. Alors que le soleil se couchait sur les plaines de la Patagonie, subitement, je realisai que Suchard ecrit a l’envers devenait DRAHCUS… Coincidence etrange pour des aliments que l’on suce, non ??? (d’accord, j’admets, elle me paraissait bien meilleure dans le bus, mais je suis incapable de resister…).
J. aka El Fin Del Mundo (almost)